Par Francis LALOUPO
Burkina Faso : Ils voient des ennemis partout
Proclamation, début avril au Burkina Faso, d’une « révolution progressiste populaire ». Au centre du projet, la chasse aux citoyens désignés « ennemis du peuple ». Si l’obsession de « l’ennemi partout présent » domine le discours des putschistes du Sahel, la junte burkinabè en est la plus fantasque incarnation.
- Politique

Crédit Photo : PF
Capitaine Ibrahim Traoré.
A Ouagadougou, le capitaine Ibrahim Traoré, dit « IB », se sent pousser des ailes. Porté par l’ivresse du pouvoir, il expose, semaine après semaine, les termes d’un projet effarant. Celui de l’instauration d’un Etat totalitaire, comme l’on n’imaginait plus en trouver sous les cieux africains depuis la fin des années quatre-vingt. La recette, pourtant faisandée, demeure la même : un régime militaire qui règne au moyen de la force brute, la violence d’Etat en bandoulière. Au programme, l’élimination de toutes les voix « déviantes », une haine recuite envers les intellectuels, une gestion erratique des affaires publiques, les délices de la corruption dans le cercle des gouvernants, l’érection du mensonge en outil de manipulation des opinions, une aversion viscérale pour le débat démocratique… Le tout dans un contexte où les échecs dans les domaines essentiels du pays sont présentés, dans le discours, comme le parcours sacrificiel vers de fallacieux grands soirs ou matins radieux.
Au centre de ce programme, la création d’ennemis imaginaires. Ce stratagème euphorisant est destiné à justifier un appareil de répression jamais voué au repos. En plus d’alimenter une réelle tendance paranoïaque, la création d’une catégorie d’ennemis est destinée à tenir hors du territoire tous les citoyens et citoyennes susceptibles de faire vaciller, par leurs opinions, l’architecture d’un système qui poursuit son œuvre de confiscation du pouvoir d’Etat. Tout en accusant assidûment des pays voisins et « l’Occident » de tous les complots, les autorités burkinabè s’appliquent à l’exécution de l’agenda des exactions à l’encontre de leurs concitoyens.
Association de malfaiteurs
Le frénétique capitaine IB a tenu à le confirmer récemment : les ennemis nationaux sont partout présents, sur le territoire comme à l’étranger. En plus des enlèvements, des disparitions inquiétantes et des déportations forcées vers le front de la lutte contre le terrorisme, voici venue l’heure des avis de recherche prononcés contre des personnalités burkinabè aux profils divers, accusées sans nuance d’appartenir à une « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Ainsi, le 1er avril dernier, une liste de trente-deux personnes a été publiée sur Facebook (!) par le ministère de la Sécurité. Sur cette liste des « ennemis du peuple », sont inscrits indifféremment des noms de djihadistes, journalistes, cyberactivistes, lanceurs d’alerte ou encore un ancien député-maire. Le message invite « toute personne ayant des informations sur ces individus à contacter les forces de défense et de sécurité… »
Bien entendu, on ne manque pas de s'étonner de trouver sur cette liste, entre autres, des journalistes comme Ahmed Newton Barry et Abdoulaye Barry ou Maixent Somé, consultant en informatique et militant pro-démocratie très actif sur les réseaux sociaux. Ce dernier estime que cette démarche du pouvoir burkinabè était « très prévisible ». Considérant que cette initiative est conforme à la logique de la junte, Maixent Somé, qui réside en Europe, porte un regard averti sur les actes posés au fil des mois par le régime putschiste de Ouagadougou : « Ils ont banni la presse internationale et muselé la presse locale. Ils ont même contraint les médias locaux à fermer les forums réservés, sous leurs articles, aux commentaires, sur les réseaux sociaux. Le Burkina Faso et l'Alliance des Etats du Sahel sont devenus un trou noir de l'information. Les seules voix discordantes sont celles de gens comme moi qui sont hors de leur portée et qui sont très suivis. S'ils n'avaient pas besoin des réseaux sociaux pour leur propre propagande, ils les auraient coupés… » Quel est alors le but recherché par les autorités burkinabè en publiant cette liste ? Réponse de Maixent Somé : « Pour eux, la seule solution, c'est de criminaliser ceux qui interagissent avec nous sur les réseaux sociaux et relaient nos messages. Je ne me sens nullement en danger car ce n'est pas moi leur cible mais mes followers ». Comment expliquer une telle fébrilité de la part de ceux qui se sont emparés du pouvoir par les armes ? « Ils savent que, désormais, leur propagande ne prend plus ! C’est le cas aussi au Mali. Je ne sais pas pour le Niger, car il n'y a pas beaucoup d'opposants nigériens qui s'expriment dans les médias et sur les réseaux sociaux. » En conclusion, Maixent Somé affirme que « ces juntes marchaient sur deux jambes : la propagande et la répression. La propagande ne fonctionnant plus, elles claudiquent sur la seule répression ».
« Les traîtres sont parmi nous… »
La répression tire désormais sa justification d’un « ordre nouveau », exclusivement conçu par la junte de Ouagadougou et dont la mise en œuvre a été explicitée par le capitaine Traoré ce 1er avril, près de trois ans après son coup d’Etat. A ceux qui ne le sauraient pas encore, il a fait cette révélation : « S’il faut qu’on le dise haut et fort, ici nous ne sommes pas dans une démocratie. Nous sommes bien en révolution progressiste populaire. Il faut que tout le monde comprenne cela. Qu’on nous cite un seul pays qui s’est développé dans la démocratie, ce n’est pas possible… » L’ardent capitaine, adepte inconditionnel des lives TikTok, aurait donc décidé tout seul : la priorité n’est plus la lutte contre le terrorisme mais contre tous les impérialismes -imaginaires - et au nom d’une hypothétique « révolution ». Et, afin d’accomplir cette révolution aux horizons imprenables, il faut, avant tout, débusquer tous les ennemis tapis dans l’ombre, dissimulés dans les entrailles de la nation… C’est pour cela qu’il invite « à la vigilance » ce qu’il désigne comme « la masse populaire » (on recherche en vain la masse « impopulaire »). Vigilance, car, selon lui « plus que jamais, les apatrides, les ennemis de la Nation sont très actifs… Et nous sommes sur le pied de guerre. Nous les attendons de pied ferme, leurs mercenaires et leurs actions. Et je tiens à le dire, nous serons impitoyables ! »
L’homme qui voit des ennemis partout affirme que « l’ennemi sait recruter et il recrute encore des traîtres. Les traîtres, ce sont ceux-là qui sont parmi nous, qui continuent de travailler, d’être des agents pour des ambassades des pays impérialistes implantées au Burkina Faso. Ils sont là dans notre administration ; ils sont là dans les organisations de sociétés civiles ; ils sont là dans les organisations politiques et ils manipulent les autres pour les amener sur des chemins contraires au progrès de notre Patrie ». La « révolution populaire et progressiste » promet donc de lourds sacrifices, y compris le droit absolu de répression, dans un climat dominé par le soupçon des uns envers les autres. Un air de déjà-vu… Aujourd’hui, le pays ploie sous un triste record, celui des atteintes les plus caractérisées aux droits humains, tout en étant classé à la première place du classement mondial du nombre de victimes du terrorisme.
Si l’obsession de l’ennemi est consubstantielle au projet politique des putschistes du Sahel, il faut constater que la junte burkinabè en est la plus massive et fantasque expression. La foi en une « révolution progressiste populaire » aurait-elle besoin de tant de fureur pour convaincre ? Et si cette obsession de l’ennemi omniprésent ne servait aux putschistes qu’à les préserver du doute, ce pire ennemi des entreprises hasardeuses et de l’empire du mensonge ?
Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.
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