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Par Francis LALOUPO

Guinée : Coup d’Etat, nouveau chapitre

Sur fond de répression systémique, la prolongation de la transition et la mise en scène de la candidature du général Mamadi Doumbouya apparaissent aux yeux de nombreux Guinéens comme une nouvelle étape dans le coup d’Etat du 5 septembre 2021. Anatomie d’une escroquerie politique.

 

Crédit Photo : AFP.
Crédit Photo : AFP.

Mamadi Doumbouya.

A la différence des juntes de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), celle qui sévit en Guinée ne juge pas nécessaire de s’encombrer de fallacieuses rhétoriques néo-panafricanistes et souverainistes pour dérouler son projet. Celui d’un accaparement durable de l’appareil d’Etat. Il semble loin, ce jour du 5 septembre 2021, lorsque des militaires du Groupement des forces spéciales (GFS) ont décidé de renverser le régime du président Alpha Condé. Conduit par le colonel Mamadi Doumbouya, ce coup d'État avait mis fin à des mois voire des années d’une crise alimentée par un dirigeant qui s’était pourtant engagé à inscrire son pays sur le tableau vertueux de la démocratie. Saluée par une population épuisée de la récurrence des tensions politiques et des dérives mortifères d’un pouvoir prétendument élu, la junte, baptisée Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), avait alors pris les commandes de l’Etat en invitant les Guinéens à s’associer à sa volonté de « mettre fin à la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique, l’instrumentalisation de la justice et le piétinement des droits des citoyens… ». Dans une vibrante profession de foi, le colonel Mamadi Doumbouya s’était engagé à « rendre la politique au peuple et refonder l’Etat guinéen ». La foule reconnaissante avait applaudi à tout rompre ces soldats qui, après des années de braise, promettaient de réenchanter la Guinée percluse de multiples maux et souffrances. Mais l’embellie a été de courte durée, avec le retour des vieux démons. 

Sinistre protocole de la répression

Alors que le pays aborde la quatrième année d’une transition censée avoir pris fin en décembre 2024, le tableau du règne de la junte s’est singulièrement assombri. Après avoir très tôt interdit toutes les manifestations revendicatives, le régime militaire à durée indéterminée s’est appliqué, sans le moindre complexe, à supprimer tous les espaces de libertés publiques. Dissolution d’associations de la société civile, fermeture des médias privés, intimidation des partis politiques, instrumentalisation de la justice… Le tout dans un contexte de terreur diffuse, où toute expression contraire aux intérêts du régime est vouée à une brutale répression. La refondation promise de l’Etat s’est réduite à une violence sans retenue, où la loi de la force militaire ne souffre pas le débat politique, et moins encore la contradiction. Voici venu, en Guinée, le temps des enlèvements en série, de la banalisation des disparitions aussi forcées que spectaculaires, sans justification et sans procès. Trois ans après sa prise de pouvoir, cette junte a instauré un sinistre protocole de répression à l’encontre de tous les individus jugés ou signalés comme des ennemis d’une cause transformée en une gigantesque escroquerie politico-historique. 

Au regard de la violence que déploie ce régime putschiste, le pouvoir renversé d’Alpha Condé pourrait apparaître, en la matière, comme une parenthèse de dilettantisme. Dans ce système hybride dans lequel il se complaisait, l’autocrate Condé s’évertuait, même sans y parvenir, à donner des gages de bonne conduite. Au moins, il se donnait la peine de tenter de sauver les apparences, en se retenant d’éliminer toutes les représentations de la demande démocratique de la population. C’est à cette démocrature que s’est substitué, depuis le putsch de 2021, un nouvel ordre, celui de la force brute, dirigé par le colonel Doumbouya, élevé, entre-temps, au rang de général. Et, pour parachever le profil du système, le culte de la personnalité fait de Doumbouya un être surnaturel, au-dessus de tous. Au-dessus de tout soupçon. Un homme vénéré par une partie de la population sous l’empire d’un impénétrable fanatisme. Succombant à ces cérémonies de célébration de sa personne, le général Doumbouya a décidé de se maintenir au pouvoir, y compris en se présentant à une prochaine élection, piétinant gaillardement tous les engagements pris et consignés dans une Charte de la Transition qui ressemble désormais à une galéjade d’ivrogne. 

Liquidation de l’Etat de droit

Pour nombre de Guinéens, le prolongement de la transition et le projet d’une candidature du général Doumbouya s’apparentent à une deuxième saison du coup d’Etat de septembre 2021. Oubliés, les propos de Mamadi Doumbouya qui affirmait solennellement en 2023 : « Je ne passerai pas un jour de plus sur les vingt-quatre mois du chronogramme de la transition. Si tel sera le cas, c’est un autre qui va le faire et non moi ». Depuis, le général s’est départi du chronogramme de cette transition pour entretenir le flou autour de la durée de son bail au sommet de l’Etat. Après le 31 décembre 2024, date de la fin prévue de la transition, le pouvoir kaki, face aux interpellations des citoyens déconcertés, s’est contenté d’avancer d’obscures projections. Pour lui, le dépassement de la période initiale doit permettre d’aborder une nouvelle phase dédiée à la « refondation de l’Etat ». Rien que ça… Réagissant au non-respect du chronogramme de la transition, la plateforme des Forces vives de Guinée, a alors indiqué qu'elle cesserait de reconnaître les autorités en place au lendemain du 31 décembre 2024. Moussa Ndiaye, responsable de l’association Rencontre guinéenne pour des élections réussies dans la paix (REGUIREP) en conclut que « plus de trois ans après le coup d’État, la junte militaire fait subir à la Guinée une dérive autoritaire qui ne laisse d’inquiéter ». Pour lui, cette transition se résume à une liquidation méthodique de l’Etat de droit.

Aujourd’hui, les arguments ne manquent pas à la junte pour tenter de justifier son ancrage : chantiers au calendrier incertain, promesses de grandioses infrastructures, engagements régaliens, dans le cadre de partenariats, conventions économiques opaques et endettements discrétionnaires… Ce sont là autant d’actes et de signes produits par un pouvoir projetant de s’installer dans la durée. Alors que la séquence transitoire glisse irrésistiblement vers la mise en scène d’une future « élection » du général Doumbouya, 2025 est présentée par les tenants du pouvoir comme l’année de la fin de la transition. Une affirmation que rien ne permet pour l’heure d’attester.

Au bout de cette transition, et au regard des intentions affichées par l’actuel exécutif, quelle sera la réponse de la frange contestataire de la population, face à un système en rupture manifeste avec la construction d’un Etat de droit qui, malgré les vicissitudes, s’est fondée au fil des dernières années sur un consensus national ? La répression systémique que la junte oppose pourrait-elle réduire à néant les aspirations des Guinéens qui manifestent leur attachement à la consolidation d’une société garantissant la pleine expression des libertés individuelles et collectives ? Rien n’est moins sûr.

En attendant, combien de violences de diverses natures devra-t-on encore recenser au cours des prochains mois ? L’aventure du CNRD vient dramatiquement s’ajouter aux drames politiques qui ont marqué l’histoire de ce pays depuis des décennies, de Lansana Conté à Alpha Condé, en passant par Moussa Dadis Camara. A la manière d’un éternel recommencement. Mais, il arrive que l’on rencontre à Conakry ou ailleurs, de temps à autre, des Guinéens convaincus qu’il est encore possible de vaincre les fatalités.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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