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Par Francis LALOUPO

[ÉDITO] Etats-Unis - Monde : vent mauvais…

Vives tensions entre l’administration Trump et l’Afrique du Sud, accusée de produire des lois racistes contre les Blancs sud-africains. Une affaire qui s’inscrit dans un contexte plus large, celui d’un pouvoir américain qui s’active à imposer au monde ses seuls critères et volontés.

LSI AFRICA / IA
LSI AFRICA / IA

Parmi les actes posés par Donald Trump, au début de son nouveau mandat à sensations, la suspension, par décret, de tous les financements d’aide et d’assistance, destinés à l’Afrique du Sud. Une réaction brutale à une législation sud-africaine qui autorise l’État à préempter des propriétés agricoles privées « par mesure d’intérêt général » et, dans certains cas exceptionnels, sans compensation. Une affaire de politique intérieure, au cœur des débats nationaux depuis la fin de l’apartheid, bien plus complexe que ne semble l’appréhender le nouveau locataire de la Maison Blanche.

Sans nuance, le président américain a dénoncé une « loi raciste » permettant, selon lui, de « confisquer les terres » des Blancs sud-africains, tout en accusant l’Afrique du Sud de « violations massives des droits de l’homme ». Se prenant pour le grand ordonnateur de la politique mondiale, le président américain promet à travers un énième décret, de favoriser « la réinstallation » aux Etats-Unis de toutes les personnes présumées « victimes d'une discrimination raciale injuste ». La mesure « punitive » infligée à Pretoria pourrait être suivie d’une exclusion du pays de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), dispositif de coopération qui permet à trente-deux pays africains de bénéficier d’exonérations de taxes pour certains produits exportés vers les Etats-Unis. Derrière ces tribulations, l’ombre portée du conseiller très spécial, Elon Musk, d’origine sud-africaine, qui, sur son réseau X, avait précédé Donald Trump pour condamner « des lois ouvertement racistes » et brandir la menace de la suspension de toute aide à l’Afrique du Sud. A lire et entendre Elon Musk, les lois sud-africaines seraient essentiellement destinées à persécuter les Blancs sud-africains, en les dépossédant de leurs biens.

« L’Afrique du Sud n’est pas une province des Etats-Unis » (Cyril Ramaphosa)

Face à cette immixtion dans la politique intérieure d’un pays étranger, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a d’abord appelé au calme, puis précisé que « le gouvernement sud-africain n’a confisqué aucune terre », tout en déplorant « une campagne de désinformation » menée contre sonpays. Confronté à des interlocuteurs américains retranchés dans une dimension autistique, Cyril Ramaphosa a affirmé : « Nous sommes, en tant que Sud-Africains, un peuple résilient. Et on ne se laissera pas intimider. » Avant de rappeler une évidence : « L’Afrique du Sud n’est pas une province des Etats-Unis ». L’on pourrait prolonger cette phrase en signalant que le monde extérieur aux Etats-Unis n’est pas devenu une province de l’Amérique de Trump. Tant il est vrai que ce dernier semble, depuis son élection, se pencher sur une carte de la planète pour redéfinir les frontières, imposer ses volontés et autres funestes fantaisies, au mépris de l’ordre mondial et des souverainetés nationales. Un spectacle proprement hallucinant…  

Les propos de Donald Trump et de son très proche conseiller Musk auraient pu simplement relever de l’irresponsabilité s’ils n’étaient émis par des personnalités aujourd’hui propulsées au sommet de l’Etat américain. Élu pour diriger les Etats-Unis, Donald Trump s’octroie, par ses déclarations et au moyen de ses décrets, le pouvoir de modifier l’ordre mondial. L’inquiétant électron libre aux commandes de la première puissance de la planète agit selon ses intimesprojections, au mépris des règles juridiques mondiales. Sans le moindre complexe, il exerce son mandat par un retour caricatural à la tradition des impérialismes du XIXe siècle. Au nom de quelles « valeurs » compte-t-il, comme il l’avait affirmé, « mettre fin à la guerre en Ukraine en vingt-quatre heures », quand il projette de « récupérer » le Groenland et le Panama et de faire du Canada le 51e Etat américain ? Comment ne pas penser à une pornographie de l’outrance lorsque, pour œuvrer à la paix, il propose de « nettoyer » Gaza en déportant ses habitants de leur terre pour la transformer en Riviera, une Côte d’Azur touristique du Moyen-Orient ? Une manière inquiétante de confondre les relations internationales avec le business de la promotion immobilière… Depuis son retour à la Maison Blanche, les décisions de Donald Trump en direction de cette région agissent comme un accélérateur de la fabrique de futurs foyers de tensions et de rancœurs extrêmes.  

Président du monde autoproclamé, Trump a annoncé dès son investiture la suspension de l'aide américaine à l'étranger selon des modalités qui restent à définir. Par décret, il retire son pays de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), enferme des immigrés illégaux dans la prison de Guantanamo, en totale violation des traités internationaux, et menace de retirer les Etats-Unis du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Un condensé des extrêmes-droites

La suppression, début février, de l’USAID(Agence américaine pour le développement international) participe également d’une remise en cause d’un ordre international qui, bon an mal an, garantit une assistance multisectorielle à des millions de personnes nécessiteuses à travers le monde. Sur le plan intérieur, cette décision inflige un cinglant préjudice aux 10 000 employés de l’USAID dont le licenciement a été notifié quelques heures seulement après l’annonce du démantèlement de l’organisme. Exécuteur désigné de toutes ces mesures censées renflouer les caisses de l’Amérique et contribuer à l’émergence de « l’âge d’or » promis par Trump à ses concitoyens : Elon Musk, l’euphorique Exterminator qui semble vivre les meilleurs moments de sa vie. 

L’affaire sud-africaine devrait interpeller l’ensemble du continent africain. Alors même que certains régimes et une partie de leurs opinions avaient souhaité la victoire de Trump à la présidentielle, les différentes instances africaines devraient, sans tarder, évaluer les conséquences probables de la culture politique qui a pris ses quartiers à la Maison Blanche. La critique de la législation sud-africaine par Donald Trump n’est que la partie visible d’un enjeu autrement plus complexe : la négation des options souveraines de l’Afrique du Sud, en matière de politique étrangère, dès lors qu’elles heurtent celles de l’administration Trump… Le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, n’a pas hésité à accuser l’Afrique du Sud d'« anti-américanisme ». Sans détour… 

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche confirme l’acuité de la crise qui traverse les démocraties à travers le monde. Malgré la sévère alerte du 6 janvier 2021, avec l’assaut du Capitole aux allures d’une tentative de coup d’Etat par les partisans de Trump, les Américains ont choisi de ramener ce dernier au pouvoir. Les voilà à présent spectateurs de la frénésie d’un homme qui entend convertir son élection en un chèque en blanc pour défaire la société et le consensus démocratique américains, au mépris des lois nationales. Avec son clan, il mène ouvertement une campagne de revanche contre ses adversaires, installe aux commandes de l’Etat ses seuls affidés et fait du suprématisme blanc l’un de ses meilleurs alliés. 

Au-delà des frontières américaines, il s’acharne à façonner un monde selon des critères alarmants et au nom d’une idéologie que ses auteurs ne cherchent plus à dissimuler. Un condensé de toutes les extrêmes-droites à l’œuvre sur la planète, aux confins d’un insidieux fascisme. En 2019, le politiste français Philippe Braud écrivait : « Un vent mauvais souffle aujourd'hui sur les démocraties, gonflant des vagues populistes dont tirent avantage des partis ou des dirigeants à la respectabilité démocratique incertaine. » Ce vent mauvais souffle aujourd’hui partout dans le monde. Il traverse actuellement toutes les contrées, aux Amériques, en Afrique, en Europe, en Asie… Face à ce qui ne devrait pas être vu comme une simple parenthèse, il faut s’armer en tous lieux pour faire reculer l’irrésistible expansion et la sournoise banalisation du pire.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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