Par Francis LALOUPO
Mali : Liquidation totale des partis
La junte malienne pourrait-elle se risquer à interdire la dissolution des partis politiques ? Alors qu’elle aborde cette étape de son agenda, une telle initiative provoquerait un basculement décisif de l’histoire du pays.
- Politique

Crédit Photo : PRM
Mi-avril dernier, le CNSP (Comité national pour le salut du peuple, junte au pouvoir au Mali) a décidé de mettre en scène le scénario éculé d’une « consultation des forces vives » en vue d’une « relecture de la charte des partis politiques ». La manœuvre ne devrait pas surprendre grand monde. Surtout pas les partis politiques qui en pressentent la destination. A l’issue de ce nouveau spectacle de « dialogue », le régime militaire pourrait bien prononcer la dissolution des partis existants, en prétextant « respecter la volonté du peuple ».
Près de cinq ans après sa prise du pouvoir par les armes, la junte de Bamako déclenche donc l’offensive finale contre les formations politiques. Rien d’étonnant au fond, quand l’on sait que ses associés du Niger et du Burkina Faso ont déjà franchi ce pas. Les partis politiques sont au premier rang des victimes expiatoires de l’aventure putschiste sahélienne. Sur fond de populisme triomphant, les associations politiques, dont les activités ont été suspendues ou tout simplement interdites, sont présentées comme le mal absolu et la source de toutes les calamités. Les partis qui ont émergé dans le contexte historique de l’instauration du multipartisme, sont désignés comme les symboles d’une démocratie aujourd’hui abhorrée. Et, pour propager cet argument et préparer leur extermination, les juntes du Mali, du Niger et du Burkina Faso peuvent compter sur les exaltés néo-panafricanistes qui en appellent au retour d’un ordre militaire exclusif dont ils ignorent, pour la plupart, les logiques et conséquences.
Ancrage d’une dictature militaire
Au lendemain du double putsch de 2020 et 2021 au Mali, les formations politiques ont choisi de croire à une transition classique. La désillusion a commencé à se manifester l’année dernière, lorsque les militaires ont décidé d’ignorer, sans autre forme d’explication, le terme de cette transition, fixé au 26 mars 2024. A la manière d’une dérisoire formalité, ils ont organisé, en mai 2024, un énième « dialogue inter-maliens », à l’issue tellement prévisible. Principale recommandation de ce « dialogue » : la prolongation de la transition. En somme, un visa à durée indéterminée au sommet de l’Etat du CNSP, sous la direction de l’auto-promu général AssimiGoïta.
Depuis, la junte a continué à dérouler son agenda privatif, sans tenir compte de ses engagements antérieurs. Les actes d’intimidation – arrestations, incarcérations arbitraires, atteintes à la libre expression – se sont multipliés à l’encontre des formations politiques et des acteurs de la société civile. Ces derniers, qui n’ont jamais renoncé à une normalisation de la situation de leur pays, en sont réduits à constater, impuissants, l’ancrage d’une dictature militaire qui n’a de compte à rendre qu’à elle-même. En réalité, le projet d’extinction des partis a été, depuis ces trois dernières années, en bonne place dans les plans de la junte de Bamako.
En avril 2024, les autorités militaires avaient décrété la suspension des activités des partis et des associations à caractère politique, avant de les autoriser – ou tolérer - de nouveau, trois mois plus tard. La mesure de suspension aura surtout permis à la junte de parer aux critiques relatives au non-respect de la fin de la période de transition. Pour justifier cette décision, elle avait accusé les concernés de « subversion », tout en qualifiant leur contribution au débat politique de « discussions stériles ». Une manière de rappeler, à qui ne le saurait pas encore, que le pluralisme n’est pas soluble dans le périmètre des juntes. Pourtant, la Constitution malienne, soumise à référendum en 2023, à l’initiative de ce pouvoir, stipule, dans son article 39, que « les partis politiques se forment et exercent librement leurs activités dans les conditions déterminées par la loi ». Mais, chez ces hommes en kaki, on ne s’embarrasse pas du respect des textes et des lois, dès lors qu’ils contrarient la gestion de leur butin.
La logique de l’alliance avec Moscou
La dissolution programmée, dans un proche avenir, des partis politiques serait conforme à la logique déployée par les putschistes de Bamako, depuis leur prise de pouvoir. Au fil des mois, ils se sont appliqués à faire prospérer un discours en rupture avec le processus de démocratisation, engagé depuis 1991. En supprimant lemultipartisme, le CNSP ne se contente plusd’administrer les dividendes de son coup d’Etat, il s’active à transformer en profondeur l’histoire contemporaine du Mali. Il la révise en jetant aux orties le consensus démocratique qui, bon an, mal an, constituait le socle de toute politique, par-delà les tempêtes et les crises inhérentes à tout processus inachevé. Par le biais d’une « idéologisation » de son putsch, la junte inscrit minutieusement ses actions dans son contrat d’alliance quasi exclusive avec la Russie. Assuréed’une caution de « légitimité » que lui a décernéel’allié russe, elle insère le Mali dans le front du refus de la démocratie initié par Vladimir Poutine. Le rejet de la démocratie, promu par le CNSP, s’inspire de la logique de son alliance avec le pouvoir de Moscou qui avait considéré, dès 2015, que la propagation du projet démocratique nuisait fortement à sa stratégie d’influence en Afrique.
Pour autant, s’agirait-il de la « fin de l’histoire » pour le Mali ? Serait-ce la fin de toutes choses pour les partis qui, jusqu’à la survenue des derniers coups d’Etat, incarnaient, certes imparfaitement, le processus de démocratisation de l’espace politique ? La manœuvre débouchant sur une dissolution – ou une malicieuse « réduction » - des organisations politiques pourrait constituer la forfaiture rédhibitoire de la période de transition. Pour Alhassane Bah, secrétaire général de la Convergence pour le développement du Mali (Codem), nul compromis ne saurait être envisagé, ainsi qu’il l’affirmait récemment au micro de la Deutsche Welle : « Nous allons nous y opposer de la même manière qu'on s'est opposé au régime militaire du général Moussa Traoré en 1991. Ils peuvent marcher sur les cadavres de qui ils veulent, ils peuvent mettre qui ils veulent en prison, mais, pour nous, la démocratie est irréversible et les partis politiques vont continuer à exister et à fonctionner ». Sur le même ton, Amadou Koïta, ancien ministre et président du parti PS Yeleen Koura, avertit que la probabilité d’une « liquidation des partis » annonce « un nouveau combat, que nous sommes déterminés à mener ».
En ordre de bataille, une centaine de formations se sont réunies au sein d’une « Initiative des partis politiques pour la charte » (Ipac). Objectif : empêcher une aventureuse réécriture de l’histoire de leur pays. Près de cinq ans après l’arrivée des militaires au pouvoir, les acteurs civils, exagérément décriés ou diabolisés par le système en place, pourraient réinvestir pleinement l’espace politique pour tenter d’éviter au Mali un irrémédiable basculement dans une autocratie militaire à durée indéterminée.
Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.
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