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Par Francis Laloupo

Donald Trump, africain malgré lui

Comment expliquer que l’homme qui exprimait son grossier mépris pour les pays d’Afrique, il y a six ans, compte aujourd’hui de nombreux admirateurs sur le continent ? A quoi pourrait ressembler la diplomatie américaine au cours du nouveau mandat de Donald Trump ? 

Crédit Photo : FN
Crédit Photo : FN

Donald Trump.

Les électeurs américains ont donc fait leur choix. Démocratiquement. Donald Trump qui avait tant diffusé le doute sur la transparence du scrutin en a accepté les résultats qui lui accordent une large victoire. Et ses adversaires, respectueux des règles de la démocratie électorale, se sont inclinés devant le verdict des urnes. Calmes lendemains d’élection aux États-Unis, bien loin de la tentative de putsch orchestré, il y a quatre ans, par un mauvais perdant nommé Donald Trump… Héros d’une certaine Amérique, ce dernier serait peut-être surpris de savoir qu’il compte aussi de nombreux admirateurs à travers le continent africain. Pas rancuniers, ces Africains épris de Trump n’ont pourtant pas oublié qu’au cours de son premier mandat, le dirigeant américain avait, en janvier 2018, qualifié plusieurs pays africains, ainsi que Salvador et Haïti, de « pays de merde ». Son propos avait, à l’époque, suscité une vague de condamnations, jusqu’au sein de l’ONU qui l’avait jugé « choquant et honteux ». L’Union africaine s’était indignée de ces « remarques blessantes et dérangeantes », tandis que les ambassadeurs du groupe africain à l'ONU avaient exigé des excuses pour ces « paroles scandaleuses, racistes et xénophobes ». Six ans plus tard, de nombreux partisans de Trump sur le continent ont accompagné le sombre bateleur américain de leurs soutien et encouragements. 

Horreur électorale

Plusieurs sondages ont en effet confirmé le phénomène au cours de la campagne électorale : dans certains pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, près de la moitié des personnes interrogées se disaient favorables à un retour de Trump à la Maison Blanche. Une réalité étourdissante, au regard du spectacle que déroulait alors le candidat à la Maison Blanche lors de ses meetings. Comment expliquer un tel engouement pour un homme dont la campagne fut un véritable festival de mensonges, de falsifications et manipulations de la réalité, et une performance de production de fake-news débités avec un aplomb sidérant ? Spectacle parfois hallucinant d’un clown sinistre et dangereux maniant, aux confins de la jouissance, les invectives, les insultes, les outrances et un racisme décomplexé… 

Accusant les immigrés haïtiens de « manger les chats et les chiens » de ses braves compatriotes, il a dit et répété que les immigrés, outre d’être tous des meurtriers, « importent de mauvais gènes » aux Etats-Unis. Donald Trump aura surfé durant toute sa campagne sur les ténébreux dividendes du suprémacisme blanc. Expert désormais incontesté de la manipulation cognitive – au moyen de vérités alternatives et d’hyperboles véridiques -, il est parvenu, malgré cette horreur électorale, à conquérir des électeurs au-delà de son seul camp. Ainsi a-t-il même pu obtenir les suffrages d’électeurs parmi les cibles désignées de ses outrances. Extase de l’artiste… 

Syndrome de l’homme fort et providentiel

Au cours de cette campagne électorale, un Américain interrogé sur deux estimait que « le risque est réel de voir Donald Trump se transformer en dictateur en cas de victoire » ... Et son ancien chef de cabinet à la Maison Blanche, le général John Kelly, a cru bon rappeler que « Trump a le profil d’un fasciste qui pourrait gouverner comme un dictateur s’il était élu ». Quel est donc l’objet de la passion avouée de nombre d’Africains pour cet homme ? Déjà en 2020, la romancière nigériane Adaobi TriciaNwaubani expliquait à propos de la montée d’un courant d’opinion pro-Trump dans son pays : « Les gens admirent son image d'homme fort, et son franc-parler est divertissant. Pour les Américains, il est drôle et bizarre. Nous, nous sommes habitués aux dirigeants qui parlent sans retenue, qui sont verbalement agressifs quand cela leur chante. Dans ce sens, il ne nous paraît pas aussi étrange que dans la perception d'un citoyen américain. » Trump correspondrait donc à une certaine vision de la politique chez des Africains ? Syndrome de l’homme fort et providentiel, refus des « normes » existantes, attrait du chaos… Le phénomène est d’autant plus notable aujourd’hui que, dans certaines contrées du continent, la défiance à l’égard du système démocratique stimule les revendications de « ruptures » sur fond de nationalisme et de tentations autoritaires. En ce sens, le narratif populiste de Trump produit comme un effet-miroir au sein de certaines opinions. 

Dans la région du Sahel où des régimes militaires, issus de putschs, appuient leur pouvoir sur des discours prétendument souverainistes, de nouveaux cercles de partisans de Trump ont émergé au cours des derniers mois. Un schéma de perception se dessine, associant Trump, Poutine et les dirigeants putschistes de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) – alliés de la Russie - dans un même « front du refus » d’un indiscernable « système » voué aux gémonies. Au fond, au regard de ces combinaisons à tout le moins surprenantes, on pourrait constater que l’Afrique n’est pas en marge d’un monde travaillé par des courants a-démocratiques, une violence inédite de la pensée, de sombres aspirations à l’autoritarisme et d’aventureux désirs de rupture avec tout ordre préexistant. Une euphorisante danse avec le hasard, doublée d’un trouble désir de saut vers l’inconnu…

L’Amérique, partenaire d’importance moyenne

Cela étant, quel sera l’impact du nouveau mandat de Donald Trump sur les relations de son pays avec l’Afrique ? Seront-elles différentes de ce qu’elles furent lors de son premier séjour à la Maison Blanche ? Difficile de le penser, quand l’on sait que le continent se résume, chez le personnage, en une lointaine abstraction. Toutefois, même si la Chine, la Russie, l’Ukraine, le Proche et le Moyen-Orient constitueront le centre de gravité de sa politique étrangère, il lui sera difficile de sous-estimer les objectifs géostratégiques des États-Unis en cours sur le continent. En cela, il sera intéressant d’observer l’attitude de son administration vis-à-vis de l’offensive russe en Afrique, compte tenu de sa proximité ambiguë avec son homologue du Kremlin. 

Plus généralement, malgré le mépris affiché autrefois par Trump vis-à-vis des pays d’Afrique, ses conseillers diplomatiques, et les responsables du Pentagone notamment, devraient lui rappeler l’urgence à maintenir les lignes de force de la politique africaine des Etats-Unis, spécifiquement dans le domaine sécuritaire. Il faut dire qu’avec la présence sur le continent de diverses puissances telles que la Chine, la Russie, l’Inde, l’Europe, le Brésil, la Turquie ou encore le Japon, aucun dirigeant américain ne saurait soustraire son pays de cette configuration concurrentielle. Alors que l’Amérique n’a jamais considéré l’Afrique comme une pièce primordiale de sa politique d’influence, elle est tout autant devenue, aujourd’hui, une partenaire d’importancemoyenne pour les pays africains. Ce 9 novembre, l’ancien Premier ministre kényan Raila Odinga, candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine, déclarait à propos de l’élection américaine : « Si Donald Trump veut travailler en tant qu'ami de l'Afrique, nous lui souhaitons la bienvenue. S'il ne veut pas travailler avec l'Afrique, l'Afrique a d'autres amis. ». Un ajustement, aussi pertinent qu’utile, du positionnement du continent à l’égard des Etats-Unis d’Amérique… Avec ou sans Trump.

Francis LALOUPO

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