Par Francis LALOUPO
Niger : Les assises de la junte
Plusieurs mois après son coup d’Etat, la junte de Niamey a organisé ses assises nationales pour conforter son pouvoir. Une réunion privée afin d’installer dans la durée un parti unique militaire.
- Politique
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Crédit Photo : PRN
C’est un scénario devenu classique pour les lendemains de coups d’Etat. Une fois arrivés au pouvoir, les militaires organisent des «concertations nationales» qui confèrent un manteau de «légitimité» à la prise illégale du pouvoir d’Etat. Les derniers coups d’Etat survenus sur le continent ont tous sacrifié à ce rituel. Au Niger, il aura fallu attendre plus de dix-huit mois, après le putsch du 26 juillet 2023, pour l’organisation de ces concertations, destinées à fixer les modalités d’une transition dont personne ne doutait d’ailleurs qu’elle s'installerait dans la durée. Toutefois, à ceux qui s’impatientaient de la tenue de cette grand-messe, le chef de la junte de Niamey, le général Abdourahamane Tiani, a une explication toute prête. Selon lui, «l’organisation de ces assises a été retardée, parce que le Niger fait face à l’animosité de certaines puissances occidentales et leurs complices africains». Une explication hardiment puisée dans le logiciel des « ennemis extérieurs » et néanmoins imaginaires…
Front du refus
Les assises nationales se sont déroulées à Niamey du 15 au 20 février. N’étaient admises à y participer que les « forces vives » acquises à la cause du régime en place. A telle enseigne que les « débats » ont pris, par moments, l’allure d’un meeting célébrant les hauts faits des gouvernants en treillis. A la veille de ces assises passablement exclusives, plusieurs organisations ont manifesté leur refus de participer à une mise en scène aux contours frelatés. Parmi les acteurs de ce front du refus, l’Ordre des avocats du Niger, le Collectif des organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie (CODDHD) ou encore l’Association nigérienne de lutte contre la corruption (ANLC), section nigérienne de Transparency International, qui a préféré de s’abstenir de « valider des textes préfabriqués », tout en dénonçant une « remise en cause des acquis démocratiques issus de la Conférence nationale souveraine de 1991 ». Indifférente à ces manifestations de défiance, la junte a déroulé son programme, en confiant à quelque 700 participants le soin de produire les résolutions qui constitueront le socle d’un pouvoir militaire « légitimé » par le « peuple » reconnaissant.
Les conclusions de ces assises se situent bien au-delà des prévisions les plus audacieuses. Très attendu, le délai fixé pour la période de transition : 5 à 10 ans, avec la mention « renouvelable ». Les acteurs nigériens avancent à visage découvert, bien plus que les régimes voisins et alliés du Mali et du Burkina Faso. Le premier ayant choisi de prolonger sans explication la transition dont la durée expirait en mars 2024, tandis qu’au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré s'est octroyé une période de cinq ans supplémentaires, depuis juillet 2024, sans pour autant préciser si cette durée sera renouvelable. Plus loin dans la région, en Guinée, la transition se prolonge énigmatiquement, sans qu’aucun calendrier officiel n’ait été communiqué pour son issue.
Pour justifier le chronogramme de la transition au Niger, la commission chargée de l’organisation des assises a indiqué que cette période « d’une durée minimale de cinq ans renouvelable pourrait évoluer en fonction de la situation politico-sécuritaire, du cahier des charges de la refondation et de l’agenda de la Confédération des Etats du Sahel, avec la possibilité pour les dirigeants des organes de la refondation de se présenter aux futures élections »… Et, comme l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il a été décidé d’accorder une amnistie générale et l’éligibilité à tous les acteurs du coup d'État de juillet 2023.
Autre décision retentissante de ces concertations nationales au Niger, la dissolution de tous les partis politiques qui, il faut le préciser, n’ont pas été invités à participer à la grand-messe. Selon les recommandations, seuls deux partis seront autorisés dans le futur. La question sera de savoir de quel ordre politique émaneront ces structures partisanes « autorisées », alors même que se profile un verrouillage radical de l’espace politique par le pouvoir actuel. Il est clair qu’au regard des conclusions des assises, les auteurs du putsch de 2023, en s’appuyant sur ceux qui adhèrent à leur agenda, n’ont pas l’intention de se retirer dans un proche avenir des affaires de l’Etat…
Parti unique militaire
Sur quel projet se fonde alors cette spectaculaire captation de l’Etat par un pouvoir militaire ? Réponse de la commission chargée d’orchestrer les assises nationales : elle estime que la transition doit s’inscrire dans une « une période suffisamment longue pour permettre une refondation solide, assurant ainsi les bases d’une véritable indépendance et d’une souveraineté totale dans tous les domaines : économique, politique, social et culturel ». En scandant le mot « souveraineté » devenu la formule terminale de tout discours, la « Charte de la refondation », produite à l’issue des assises, laisse supposer que le Niger n’a commencé d’exister que depuis le coup d’Etat du général Abdourahamane Tiani.
Aucune mention sur l’Etat de droit ou le sort des victimes du coup d’Etat. A commencer par le président renversé, Mohamed Bazoum, toujours séquestré, en toute illégalité, dans l’enceinte du palais présidentiel. Quelques jours avant la tenue des assises nationales au Niger, les Nations unies ont dénoncé la « détention arbitraire » de l’ancien président et de son épouse, et réclamé leur « libération et leur droit à la réparation ». Ce 15 février, Moussa Mahamat Faki, président de la Commission de l’Union africaine en fin de mandat, a, dans son discours d’adieu, appelé à une « libération immédiate » de celui qu’il a désigné comme « le grand prisonnier du Sahel » et dont « rien ne saurait justifier l’interminable détention ». Des propos qui n’ébranlent pas la logique dans laquelle la junte nigérienne s’est désormais retranchée. Au nom d’une prétendue révolution, dont on peine à entrevoir les aboutissants… Reste à savoir si toutes les forces vives du Niger – y compris celles dont la voix est aujourd’hui interdite – pourraient s’accommoder indéfiniment de la restauration d’un parti unique, qui plus est militaire. Et ce, dans un pays confronté à nombre de défis récurrents : économiques, sociaux, sanitaires, sécuritaires et, disons-le, démocratiques…
Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.
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