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Par Francis LALOUPO

[ÉDITO] Guinée : la tentation du Général

Climat tendu en Guinée, où la probable candidature de Mamadi Doumbouya s’invite au cœur de l’actualité. Après avoir commis un putsch pour «rétablir l’ordre démocratique», le général sera-t-il, à son tour, accusé de confisquer le pouvoir d’Etat ?

Crédit Photo : PRG
Crédit Photo : PRG

Général Mamadi Doumbouya.

« Je m’engage à rendre le pouvoir aux civils à l’issue de la transition, fin 2024 [...] Nous allons bien sûr organiser la transition mais nous ne ferons pas partie de l’après-transition. Pour nous, c’est clair et ça doit l’être. » Ainsi parlait, en février dernier, Mamadi Doumbouya, colonel élevé au grade de général au cours de la transition. Celui qui, en septembre 2021, a mis fin à la dérive autoritaire et à la tentation d’une présidence à vie d’Alpha Condé jurait alors, devant le peuple, qu’il ne resterait pas un jour de plus au pouvoir, à la fin de la transition. Entre-temps, la durée de cette transition est devenue incertaine. La junte militaire a multiplié les signes d’un raidissement de l’appareil à l’égard des libertés publiques. Au fil des mois, la Guinée est devenue l’enfer des journalistes et des Guinéens suspectés d’émettre une parole différente de celle prescrite par le régime. Dans un pays où les manifestations ont été interdites par la junte militaire, «on n’arrête plus les opposants, on les fait disparaître», confie un journaliste de Conakry.

La dynamique du reniement

Depuis quelques jours, le débat sur une probable candidature du général Mamadi Doumbouya à la présidentielle, prévue en 2025, s’invite, avec une acuité particulière, au cœur de l’actualité guinéenne. Sur quels arguments exceptionnels pourrait-il fonder cette décision qui remettrait en question tous les engagements énoncés devant la population après le coup d’Etat de 2021 ? Il y a quelques mois encore, l’on affirmait dans les cercles du pouvoir qu’une telle éventualité était un «non-sujet». Désormais, ceprojet ne semble plus relever de la simple supputation. Comme un coup d’envoi à la dynamique naissante de reniement, quelques figures du régime ont entrepris récemment de préparer les esprits à la candidature prochaine à la présidentielle du général Doumbouya, président du CNRD (Comité national du rassemblement pour le développement, organe dirigeant de la junte). 

Alors qu’un référendum est prévu à la fin de l’année en vue de l’adoption d’une nouvelle Constitution, le ministre des Affaires étrangères, Morissanda Kouyaté, a déclaré le 19 septembre dernier que «la nouvelle Constitution ne sera pas une machine à exclure». Moins sibyllin, le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, a livré sans détour le fond de sa pensée : «Pourquoi pas une candidature de Mamadi Doumbouya ? Aller devant le suffrage, ce n'est pas usurper la volonté du peuple». Pourtant l’article 46 de la Charte la transition signée en 2021 par Mamadi Doumbouya en personne, stipule que «le président ne peut pas faire acte de candidature aux élections nationales et locales». L’article précise que «cette disposition n'est susceptible d'aucune révision». Ignorant vertement cette disposition, le secrétaire général de la présidence, le général Amara Camara, emboîtant le pas au porte-parole, a élargi le champ du possible : «Le président Doumbouya est un citoyen comme tout autre. Rien ne lui interdit de se porter candidat pour gouverner le pays». Le même « pourquoi pas ?» est repris par le Premier ministre Bah Oury, caution civile et politique de la transition. 

Pour l’heure, le principal intéressé ne s’est pas exprimé sur la question. Un silence lourd de sens. Mais la somme des déclarations de ses lieutenants ne  fait plus mystère de sa prochaine déclaration de candidature à la magistrature suprême. Ce que les militaires au pouvoir considéraient comme un procès d’intention s’est transmué en évidence. Et ne leur dites surtout pas qu’ils ont menti naguère. Ils vous répondraient qu’il ne s’agit point de mensonges, mais de vérités successives.

Eternel recommencement

À quoi aura alors servi ce coup d’Etat qui mettait fin à la dérive autoritaire du président Alpha Condé ? Les Guinéens avaient applaudi le coup d'État « libérateur » de septembre 2021. Un putsch qui intervenait après une longue crise, liée à la volonté du président Condé, porté au pouvoir par la voix des urnes, de s’y maintenir indéfiniment, notamment au moyen d’une manipulation opportuniste de la Constitution. La crise avait occasionné un lourd bilan humain. Parmi les promesses des auteurs du putsch, conduit par un certain colonel Mamadi Doumbouya, celle de «rendre la politique au peuple, et mettre fin à la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique, l’instrumentalisation de la justice et le piétinement des droits des citoyens…». Trois ans plus tard, on assiste aujourd’hui aux manifestations les plus caricaturales du culte de la personnalité. Les comités de soutien au général l’exhortent à régner pour l’éternité. Dans les médias officiels, les commentateurs rivalisent de zèle pour célébrer cet homme «augmenté», doté de surnaturelles vertus. Manifestement, le général n’est pas insensible à ces démonstrations d’allégeance d’un autre âge. Et c’est à l’appel de ce « peuple » qui le célèbre sans compter, qu’il se dira prêt, dans un proche avenir, à répondre. En Guinée, voici donc venu le temps de la forfaiture. Tout se passe comme si ce nouveau pouvoir n’avait tiré aucun enseignement du passé, de l’histoire de ce pays et de l’époque. Est-il encore nécessaire de préciser à ceux qui se berceraient encore d’illusions que le général candidat ne se lancera pas dans l’aventure des élections en souscrivant aux exigences d’équité et de transparence ? Ce régime n’organisera pas des élections pour les perdre. Et la Guinée entrera de nouveau dans le cycle funeste des troubles et des contentieux pré et post-électoraux. Au bout du coup d’Etat de septembre 2021, le syndrome de l’éternel recommencement…

Ce 24 septembre, à l‘issue d’une session extraordinaire, le Conseil permanent de la Francophonie (CPF) a prononcé la « levée totale » de la suspension de la Guinée de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Cette suspension avait été prononcée en réaction au coup d’Etat, conformément aux textes et usages de l’Organisation. Cette dernière a ainsi décidé d’accorder une forme de dérogation à la Guinée, sans attendre la tenue des élections et le retour à un « ordre constitutionnel normal » dans le pays. Même si l’OIF a rappelé qu’elle a, depuis 2021, « accompagné la Guinée dans son processus de transition à travers le déploiement d’une expertise multisectorielle », cette décision intervient inopportunément, dans un contexte marqué par de cruciales interrogations sur l’issue de la transition. Prenant le risque d’être accusée de complaisance sélective à l’égard d’un régime issu d’un putsch, l’OIF sera-t-elle à même de prouver dans un proche avenir qu’une telle action contribuera à la décrispation et à la normalisation de la situation politique en Guinée ? Difficile de croire, pour l’heure, qu’un tel pari puisse militer en sa faveur.

A part ça… dans une autre Guinée, en Afrique de l’Ouest… En Guinée-Bissau, la dernière sortie ubuesque du chef de l’Etat, Umaro Sissoco Embalóest un morceau rare d’humour involontaire. Le 12 septembre dernier, il a soudainement décidé d’annoncer au bon peuple son intention de ne pas briguer un second mandat en 2025. Une déclaration émaillée d’explications loufoques. Pour le dirigeant bissau-guinéen, sa décision lui aurait été inspirée par son épouse qui porte un regard peu flatteur sur les adversaires de son auguste époux. Elle lui aurait conseillé de se retirer de la vie politique, plutôt que de continuer à subir les affronts de ses médiocres adversaires. Toutefois, il a tenu à désigner les successeurs de son choix, et surtout à énoncer les noms de ceux qui, selon lui, ne devraient, au grand jamais, mériter les suffrages de ses concitoyens. Moins de vingt-quatre heures après cette déclaration, Umaro Sissoco Embaló revenait sur ses propos, pour annoncer que, tout bien considéré, il allait briguer un second mandat. Par amour pour son peuple, forcément. On hésite entre l’effarement et la consternation…

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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