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Par Francis Laloupo

Ghana - AES : le périple ambigu

Début mars, le nouveau président élu du Ghanas’est engagé à rétablir les liens entre la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Mais, à quoi aura réellement servi sa récente tournée au Niger, au Mali et au Burkina Faso ? Retour sur une initiative qui suscite suspicions et interrogations dans l’espace Cédéao. 

Crédit Photo : PRM
Crédit Photo : PRM

Le président du Ghana, John Dramani Mahama, a effectué, du 8 au 10 mars, une tournée expresse dans les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel devenue la Confédération des Etats du Sahel (AES - Mali, Niger, Burkina Faso). L’objectif annoncé était d’œuvrer à un rétablissement des liens de bon voisinage entre les trois régimes militaires et la Cédéao dont ils ont soustrait récemment leurs pays. Avant de se rendre auprès des dirigeants de l’AES, John Dramani Mahama avait, le 5 mars, rencontré à Abidjan son homologue ivoirien, Alassane Ouattara, pour obtenir son aval. Il avait alors déclaré que « c’est mieux d’être à quinze (membres de la Cédéao)qu’à trois (de l’AES) ». Toutefois, le Ghanéen n’avaitreçu aucun mandat officiel de la Cédéao pour entreprendre cette action de bons offices auprès des régimes de l’AES. D’autant que le climat conflictuel qui continue de prévaloir entre les deux entités exige, pour l’heure, un usage gradué de préalables diplomatiques, plutôt que cette forme de précipitation. On peut s’interroger sur l’urgence d’un tel périple dans l’espace AES pour le dirigeant ghanéen fraîchement investi en janvier dernier, et qui, en toute logique, aurait dû s’instruire de l’état du dossier auprès des instances de la Cédéao avant de s’engager dans cette entreprise de « réconciliation ». De quoi se demander, si l’initiative de John DramaniMahama ne s’inscrivait pas, avant tout, dans un agenda privé. Manifestement, l’initiative était, dès l’origine, marquée du sceau de l’ambiguïté.

Business décomplexé

Au cours de sa tournée au Niger, au Mali et au Burkina Faso, John Dramani Mahama s’est montré plus habile à renforcer les liens de coopération économique entre ces pays et le sien, plutôt qu’à promouvoir les positions de la Cédéao. A Bamako, au nom des relations bilatérales, il a appelé à renforcer les liens commerciaux entre les deux pays, et notamment « le corridor sud pour le transport des marchandises et des biens entre le Mali et le Ghana». Autrement dit, l’accès des flux commerciaux de l’AES aux infrastructures portuaires ghanéennes. A ce programme de business décomplexé s’ajoute la coopération en matière de défense et de sécurité. La lutte contre le terrorisme passerait par une « mutualisation des efforts », non pas entre les pays de la Cédéao concernés et ceux de l’AES, mais entre le Ghana et chacun de ces derniers. 

Au Burkina Faso, la présence de John DramaniMahama a été présentée comme une « visite de travail » destinée, ici aussi, à « conforter la coopération économique et dégager des perspectives pour le renforcement de l’axe Ouagadougou-Accra ». Symbole de cette coopération ravivée : le projet de construction d’un gazoduc entre les deux pays, la fourniture d’électricité au Burkina Faso etl’activation d’une liaison aérienne, avec un vol quotidien entre Ouagadougou et Accra. Lors de cette étape, la dernière de cet insolite périple, le président ghanéen n’a pas hésité à convoquer les vertus de la « tradition africaine » qui oblige les voisins à se rendre visite mutuellement…

Mis à part ces exaltantes rencontres entre le président ghanéen et les dirigeants putschistes de l’AES, qu’en est-il alors de sa « médiation » entre ces derniers et la Cédéao ? On attendait du médiateur auto-désigné l’articulation d’échanges conciliateurs entre lui et ses hôtes sahéliens, avec un rappel explicatif des fondements des positions prises par la Cédéao lors de la survenue des coups d’Etat dans ces trois pays. On s’attendait à ce qu’il plaide sans fléchir en faveur des exigences de l’organisation régionale, tout en prenant en compte les arguments de ses interlocuteurs de l’AES, afin de suggérer d’éventuelles modalités de conciliation ou de cohabitation au sein de la région. Au lieu de cela, et à la grande surprise de tous, John Dramani Mahama a choisi d’adopter une surprenante posture, tendant à absoudre les trois juntes putschistes d’avoir confisqué le pouvoir d’Etat. Occultant vaillamment la source du contentieux, le dirigeant ghanéen a tout simplement invité ses pairs de la Cédéao à « reconnaître la Confédération des Etats du Sahel ». Et sans attendre la moindre réponse, il s’est engagé, au nom du Ghana, à « poursuivre [son] appui à la Confédération et à travailler à renforcer les liens et les relations entre ces deux regroupements, la Confédération des États du Sahel (AES) et la Cédéao, dans [leur] espace ouest-africain ». Selon lui, le différend se réduit à « une sorte de manque de confiance entre les leaders de la Cédéao et de la Confédération des États du Sahel ». 

Drôle de « médiation » …

Évacués donc, les facteurs constitutifs du conflit qui a entraîné la rupture entre les deux entités. Aucune mention, dans les déclarations du président ghanéen, des diatribes incendiaires constamment proférées depuis des mois par les juntes de l’AES contre leurs voisins, accusés de fomenter les pires complots contre leurs régimes. Des voisins demeurés stoïques face aux répétitives et fallacieuses accusations de complicité avec des forces hostiles « étrangères », ou encore d’hébergement sur leur sol de foyers de terroristes dans le but de détruire les pays de l’AES. Sans compter le climat entretenu par ces juntes à travers leurs dispositifs de propagande, notamment sur les réseaux sociaux, destinés à diaboliser méthodiquement les instances de la Cédéao et ses populations. John Dramani Mahama aura donc choisi d’enjamber, ou de nier, tous ces facteurs de crise pour simplement recommander une « reconnaissance » des régimes putschistes de l’AES par la Cédéao. A la manière d’une banale formalité…

Drôle de « médiation » de la part du dirigeant ghanéen qui semble réclamer, sans la moindre réserve politique, d’acquitter définitivement les putschistes de leur forfait, en ignorant que le motif fondamental de leur retrait de la Cédéao était justement de s’affranchir des règles et des exigences auxquelles leurs pays avaient souscrit au sein de cette institution. Il est vrai que cette dernière n’a pas su produire des mesures pertinentes face aux situations de crises constitutionnelles survenues dans certains pays au cours des dernières années. Mais un tel argument, émis par ses pourfendeurs, ne suffit pas à blanchir, au-delà du raisonnable, les auteurs d’une prise illégale du pouvoir d’Etat par la voie des armes. Un délit qu’ils s’ingénient désormais, avec une ruse consommée, à maquiller par des odes panafricanistes et souverainistes. 

Entre cynisme et désinvolture

Pour la Cédéao, à quoi aura servi cette mission officieuse de bons offices du président ghanéen ? A rien. Particulièrement éloquent, le silence de l’organisation aux lendemains de la tournée AESienne de John Dramani Mahama. Quant aux Ghanéens, ils pourraient y voir une démonstration de pragmatisme de leur président au bénéfice de leur pays. Essentiellement motivé par des intérêts nationaux, le périple ambigu de John DramaniMahama pourrait se résumer ainsi : « que la Cédéao reconnaisse au plus vite l’AES, et que vive mon business ». Un contournement tortueux de la logique communautaire régionale. Entre cynisme et désinvolture… 

Dans un registre plus sombre, cette tournée précipitamment entreprise dans les pays de l’AES relèverait d’un agenda encore plus intime. Une manière d’acte de gratitude du président ghanéen à l’égard des dirigeants des juntes de l’AES qui lui ont discrètement manifesté leur soutien durant la campagne électorale qui a abouti à sa victoire à la présidentielle de décembre dernier. Les clauses et les contreparties de ce « soutien » demeurent, à ce jour, inconnues. A ce propos, la présence remarquée du chef de la junte burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, en janvier à Accra, lors de la cérémonie d’investiture du président élu John DramaniMahama, a été perçue comme la troublante incarnation d’un secret bien gardé.

L’initiative du dirigeant ghanéen dans le climat tourmenté que connaît actuellement la Cédéao n’est certainement pas de nature à fortifier l’édifice communautaire. Pour autant, ceux qui en déduisent un trépas annoncé de l’institution en seront pour leur frais. Comme bien d’autres organisations régionales, elle a été, depuis sa création en 1975, traversée par de multiples tempêtes internes. L’une des plus périlleuses ayant été la tentation de repli protectionniste du Nigeria qui avait décidé, en 2019,de fermer ses frontières à ses voisins pendant plusieurs mois. Cette crise déclenchée par le géant économique de la région, et qui avait alors sévèrement ébranlé les fondations de la Cédéao, fut collectivement surmontée… 

Processus forcément inachevé, la Cédéao a su survivre à de multiples secousses, à ses contradictions organiques ainsi qu’à ses faiblesses structurelles que les générations successives sauront réparer. Réparer et consolider ce qui contribue à sa raison d’être. En confirmer, toujours plus, le sens historique, tout en rappelant, inlassablement, l’absolue nécessité de sa réalité. Dans le contexte actuel, tous ceux qui sont tentés de courir plus vite que la montre devraient comprendre que l’épisode de l’AES ne constitue pas la fin de toutes choses pour la Cédéao. Loin s’en faut…

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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