Par Francis Laloupo
Afrique de l’Ouest : Fin d’année ordinaire en Putschland
Epilogue du processus de rupture entre l’Alliance des Etats du Sahel et la Cédéao, mouvements d’humeur des juntes, répression transfrontalière de la liberté d’expression, fortification des régimes militaires… Chronique de la vie ordinaire en Putschland.
- Politique
Janvier prochain, sauf improbable rebondissement, la rupture sera formellement consommée entre la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et les trois pays de l’Alliance des États du Sahel (AES, Mali, Burkina Faso, Niger). Afin d’entériner l’acte sécessionniste, une réunion des chefs d'État de l'organisation régionale devrait se tenir à la mi-décembre à Abuja, au Nigeria. Le départ des trois pays sera ainsi acté un an après sa notification, selon l’article 91 révisé du Traité de la Cédéao. Commencera alors une cohabitation inédite au sein de cette région, entre le territoire institutionnel d’une organisation composée de douze États et un bloc de pays voisins qui ont choisi de s’en affranchir, avant même d’avoir entrepris de fixer les fondations de leur nouveau cadre règlementaire.
Travaux pratiques de la rupture
Eu égard aux péripéties conflictuelles qui ont présidé à la décision des dirigeants de l’AES, dans quel climat se dérouleront prochainement les nécessaires négociations et agencements pour établir les règles et les modalités de cette cohabitation ? En effet, une réalité s’imposera après la pleine effectivité de la rupture : celle des facteurs et mécanismes d’interdépendance qui continueront à prévaloir dans les relations entre tous les pays de la région. Il s’agira notamment de définir de nouvelles règles du commerce intrarégional, les modalités de circulation des personnes et des biens ou encore une nouvelle architecture des liens diplomatiques entre les pays de la Cédéao et ceux de l’AES. Au-delà des formules incantatoires, voici donc venu le temps des travaux pratiques de la rupture annoncée. L’affaire sera ardue. Face aux enjeux collectifsdes temps actuels, la Cédéao se serait volontiers passée de cet épisode critique et, à maints égards, absurde, à la veille de son cinquantième anniversaire.
Pendant ce temps, les juntes de l’AES s’attellent à la fortification de leurs régimes qui bientôt célébreront leur quinquennat. En novembre dernier, le Mali et le Burkina Faso ont fait la démonstration de leur coopération en matière de répression de la liberté d’expression. Faisant suite à une plainte du Conseil supérieur de la communication du Burkina Faso, la Haute autorité de la Communication du Mali a prononcé la suspension d’une chaîne de télévision malienne, Joliba TV. La raison ? Une émission de débat diffusée sur cette chaîne où l’on entend un acteur politique malien, Issa Kaou N’Djim, émettre des doutes argumentés sur une récente – et énième – tentative présumée de coup d’Etat que le pouvoir burkinabè a affirmé avoir déjouée.
Soucieuses de satisfaire aux exigences des partenaires burkinabè, en plus de la sanction infligée à Joliba TV, les autorités maliennes ont placé Issa Kaou N’Djim sous mandat de dépôt le 12 novembre, à Bamako, pour « offense commise publiquement envers un chef d'État étranger ». Selon Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de Reporters sans frontières (RSF), « le retrait de la licence de Joliba TV et sa suspension confirment le rétrécissement chaque jour plus notable de la liberté de la presse dans le pays. À l’instant où la HAC du Mali donne raison à son homologue burkinabè, ce dossier devient politique… » Autre réaction, celle d’un dirigeant de JolibaTV rapportée par Radio France Internationale (RFI) : « C’est une décision politique, ils veulent uniformiser la pensée dans l’Alliance des États du Sahel. Nous préférons perdre notre licence que d’être une caisse de résonance. Si Joliba tombe, tous les médias maliens sont menacés…»
Quelques jours après cette séquence, c’était au tour des autorités burkinabè de renvoyer l’ascenseur à leurs partenaires maliens, en faisant convoquer le directeur de L’Observateur Paalga – excellent quotidien édité à Ouagadougou – pour une séance d’explication devant le Conseil supérieur de la communication du Burkina Faso. La raison ? Un savoureux article de cet organe intitulé « Des généraux comme s’il en pleuvait », à propos des récentes et spectaculaires promotions des membres de la junte au pouvoir à Bamako. L’article ayant suscité le courroux de ces derniers, les autorités burkinabè ont accepté de réserver les suites qui s’imposent à l’insolente prose de ces journalistes… Ainsi va désormais la vie des journalistes dans l’AES souveraine. Chronique des jours ordinaires, au rythme des exactions, intimidations, incarcérations, interdictions, disparitions forcées dans une AES qui instaure une répression transfrontalière de toutes les paroles déviantes.
Pendant ce temps au Niger…
Le 22 novembre dernier, grosse crise de nerfs de la junte contre l’Union européenne (UE) qui a eu la mauvaise idée d’octroyer 1,3 million d’euros à des ONG étrangères pour porter aide et assistance aux victimes des récentes inondations. Déroutante colère d’un régime qui reproche à une organisation parfaitement identifiée d’apporter un concours précieux aux populations, en appoint aux pouvoirs publics dont les limites et carences endémiques ont été largement démontrées face à des situations de catastrophe naturelle. La junte reproche à l’ambassadeur de l’UE, Salvador Pinto da França, d’avoir agi « unilatéralement », en ne l’ayant pas informée au préalable de cette démarche. Surprise par cette querelle incongrue, l’UE a rappelé que l’octroi de cette aide a été effectué selon les modalités régulières. Alors que l’ambassadeur s’apprêtait, à la demande de l’UE, à se rendre auprès de cette dernière «pour consultation» dans le cadre de cette affaire, les autorités nigériennes, estimant que « la collaboration » avec le diplomate était « devenue impossible », ont exigé « officiellement son rappel et remplacement dans les plus brefs délais ». Quelles sont donc les véritables raisons de cette charge aussi brutale que discourtoise dirigée contre l’UE ? Les gouvernants de Niamey auraient donc préféré que la subvention allouée aux ONG transite d’abord, et obligatoirement, par leurs quartiers ? On peut alors s’interroger si, face à une situation d’urgence, un tel circuit aurait garanti la mise en œuvre des secours nécessaires aux victimes concernées…
C’est dans cette ambiance que l’on a appris, le 3 décembre, l'arrestation à Niamey de Moussa Tchangari, secrétaire général de l’organisation de la société civile Alternatives Espaces Citoyens (AEC). Selon Amnesty International, cette arrestation « semble liée à la répression généralisée menée par les autorités nigériennes contre l’opposition politique, les médias et la dissidence pacifique depuis le coup d’État militaire de juillet 2023. » Extrait d’une interview de Moussa Tchangari, publiée en mai 2024, par le site L’Autre Républicain : « Le contexte sahélien est marqué par le retour à l’autoritarisme d’antan, suite à des coups d’Etats militaires. Mais, il faut dire qu’il y avait déjà une certaine tentation autoritaire, qui se manifestait par des atteintes graves aux droits et libertés, et par la vogue des discours fascistes tentant d’établir un lien de cause à effet entre l’avènement de la démocratie multipartite et la crise sécuritaire que traversaient les pays sahéliens (…). Je ne partage pas ces analyses, et je considère pour ma part que l’affaiblissement des États au Sahel résulte plutôt du refus des élites au pouvoir d’opérer la nécessaire rupture d’avec l’ordre ancien. (…) Je crains fort que nous soyons bien partis pour revivre les pires moments dont nous étions sortis difficilement. Les acteurs politiques et sociaux ont minimisé jusqu’ici le risque de voir s’instaurer un régime militaire sur lequel ils ne pourront avoir aucun contrôle (…) Nous savons, nous autres, ce que signifie un régime militaire. Nous avons donc de bonnes raisons de lui préférer une démocratie, fût-ellebancale… »
Danse avec les Premiers ministres
Deux Premiers ministres limogés en l’espace de deux semaines dans l’espace AES. Le Malien Choguel Kokalla Maïga, caution civile du régime militaire, a été renvoyé dans ses foyers le 22 novembre dernier, après un discours étonnamment critique contre ceux dont il a, jusqu’ici, défendu la cause, avec un enthousiasme non dissimulé. Choguel Maïga, avec ses mots, a, depuis trois ans, justifié tous les errements du régime putschiste, en soutenant notamment le report sine die de la transition. Le 16 novembre, c’est ce même homme qui s’est soudainement transmué en pourfendeur de cette transition sans durée déterminée, tout en appelant à la tenue d’élections. Au passage, il décrit une junte peuplée de sombres comploteurs et d’exécuteurs d’œuvres opaques. Exit donc, Choguel Maïga, qui devra, à présent, expliquer à ses anciens amis politiques le zèle et la dévotion absolue dont il a fait preuve envers un cartel de militaires qui s’applique à confisquer le pouvoir d’Etat. En tout cas, Choguel Maïga aura offert une belle occasion aux militaires de se passer désormais de toute caution civile pour poursuivre leur projet.
Au Burkina Faso aussi, fin de parcours annoncé le 6 décembre pour le Premier ministre Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla qui a déployé depuis octobre 2022 des marques inouïes de fidélité envers un pouvoir ivre de sa toute-puissance. Ancien chroniqueur-polémiste de télévision, il a épousé jusqu’au vertige la volonté d’alignement des dirigeants militaires sur la Russie. Allant jusqu’à souhaiter la tenue de conseils des ministres à Moscou ou l’élévation du russe en langue prioritaire au Burkina Faso. Sans aucune explication, le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte, l’a débarqué de son poste, avant de mettre en place un nouveau gouvernement. Apollinaire Joachim Kyélemde Tambèla aura tout le temps à présent de méditer sur la nature et les directions de la gouvernance du frénétique capitaine Ibrahim Traoré, l’homme qui affirme vouloir « sauver » ou « libérer » l’Afrique. Et lui dire qu’il n’est pas obligé…
A part ça… Au Ghana voisin, une paisible élection présidentielle s’est déroulée le 7décembre, débouchant, cette fois encore, sur une alternance tout aussi tranquille, avec la victoire de l’opposant John Dramani Mahama. Trois semaines plus tôt, les Sénégalais s’étaient de nouveau rendus aux urnes pour des élections législatives sans heurts et sans contentieux, donnant une large victoire à la nouvelle génération de dirigeants portée aux commandes de l’Etat. C’est dire que dans cette Afrique de l’Ouest, la démocratie est loin d’être devenue une vaine aspiration. Contrairement à ce que prétendent les zélateurs des néo-dictatures militaires…
Francis Laloupo
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