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Par Francis Laloupo

Édito : L’invention des «apatrides»

Comment la déchéance de nationalité devient une nouvelle arme d’exclusion des adversaires de certains régimes africains… Voici venu le temps des machines à produire des « apatrides ».

Crédit Photo : PF
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Les coups d'État intervenus au cours des quatre dernières années sur le continent continuent de livrer leur lot de nouveautés. Entre autres, une forme inédite de bannissement de la Cité infligée aux adversaires désignés des pouvoirs militaires. Au Burkina Faso, toute personne repérée comme contradicteur, critique ou opposant déclaré du régime du capitaine Ibrahim Traoré est désormais rangé dans la catégorie des « apatrides ». Cette élection au statut d’apatride est annoncée sur les réseaux sociaux qui tiennent lieu de tribunal populaire aux affidés des dirigeants putschistes. Cette sentence, signifiée au concerné et assortiede la qualification d’« agent de l’étranger », l’exclut sans délai de la communauté nationale. Aux Burkinabè de l’extérieur frappés de cette sanction sans procès, la cause est entendue : ils sont logiquement contraints à l’exil, étant entendu que tout séjour dans leur pays les exposerait aux peines réservées aux « déviants ». A savoir, la prison, la disparition forcée ou la déportation sur les théâtres de combat contre les groupes terroristes.

Pensée unique non négociable

Inspirée des discours et des tumultueuses orientations du chef de la junte Ibrahim Traoré, la sanction de l’apatridie est devenue l’arme fatale d’un système tout entier dévolu à la Russie de Vladimir Poutine. Le Conducator de Ouagadougou érige sa vision de la société en une pensée unique et non négociable à laquelle les citoyens sont invités à se rallier, sous peine de disparaître des registres civils. Aux journalistes devenus de potentiels « apatrides », le capitaine Traoré s’est adressé en ces termes le 23 mars 2023 : « Tous ceux-là qui pensent qu’ils sont cachés, à l’intérieur ou à l’extérieur, qui continuent d’informer, de communiquer pour l’ennemi, ils vont le payer ». C’est dans ce contexte où se banalise la violence d’Etat que l’exécutif militaire a entrepris, en juillet dernier, une révision du Code des personnes et de la famille (CPF) qui modifie les conditions d’acquisition et de déchéance de la nationalité. A la demande des autorités militaires, la déchéance de la nationalité burkinabè devrait désormais être appliquée contre « toute personne qui agit contre les intérêts du Burkina Faso ». Reste à savoir quel sera le champ d’application d’une telle mesure et les limites de son interprétation. On peut comprendre, au regard du climat qui prévaut actuellement dans le pays, qu’une telle révision du CPF est destinée à inscrire dans le domaine de la loi, la sanction d’apatridie que le pouvoir kaki assène aujourd’hui, informellement, aux voix discordantes et à tous les Burkinabè qui ne souscrivent pas à son projet. 

Le 14 octobre dernier, le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, Karamoko Jean-Marie Traoré, était présent à Genève, à l’occasion de la 75e session du comité exécutif du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. S’adressant à l’auditoire, il a exposé les actions menées par son pays en matière de lutte contre l'apatridie, et affirmé son « attachement à un monde sans apatride ». Sans rire… 

Apatridie « provisoire »

Au Niger aussi, l’invention d’apatrides est devenue un outil d’exclusion de certaines catégories de citoyens de la vie nationale. Ce processus de bannissement, initié par la junte de Niamey, s’appuie sur une ordonnance publiée le 27 août 2024. Cette dernière instituait la création d’un « fichier de personnes, groupe de personnes ou entités (FPGE) » potentiellement coupables d’actes en rapport « avec le terrorisme, et autres infractions portant atteinte aux intérêts stratégiques et/ou fondamentaux de la Nation ou de nature à troubler gravement la tranquillité et la sécurité publiques ». C’est sur la base de ce dispositif judiciaire controversé que des mesures de « déchéance provisoire de nationalité » ont été prononcées, par décret, le 10 octobre dernier contre neuf personnalités, proches ou anciens collaborateurs du président renversé Mohamed Bazoum. Alors que l’on s’interroge toujours sur la notion de déchéance « provisoire » de nationalité, les personnes concernées sont accusées par le régime militaire de « complot contre l’État, trahison, atteinte à la sécurité publique, et autres activités perturbant la paix, et tentative de collaboration avec des puissances étrangères contre les intérêts du Niger. » Cette décision agit comme une nouvelle séquence du putsch du 26 juillet 2023, dont la liste de victimes pourrait encore s’allonger. Ce 5 novembre, le chef de la junte, le général Abdourahamane Tiani, a signé un nouveau décret « portant déchéance provisoire de la nationalité » de sept autres personnes proches du pouvoir civil renversé. Parmi ces nouveaux incriminés, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou, et celui du commerce, Alkache Alhada. Sans autre forme de procès, toutes ces personnes sont donc sanctionnées d’apatridie « provisoire ». Autre élément non négligeable : les personnes ainsi condamnées seraient, de fait, considérées « provisoirement » inéligibles, si jamais les actuels détenteurs du pouvoir d’Etat décidaient d’organiser des élections, au terme d’une nébuleuse transition. 

Conflit de nationalité 

Les régimes issus d’une nouvelle génération de putschs seraient-ils devenus des machines à produire des apatrides ? Nul doute qu’ils s’y emploient énergiquement. Traversée elle aussi par ce vent mauvais, la République Centrafricaine, où le président Faustin-Archange Touadéra a initié en octobre dernier un stupéfiant projet de loi sur « les agents étrangers ». Est désigné comme agent étranger « toute personne physique ou morale qui, sous influence étrangère, exerce des activités qui contribue à l’affaiblissement de la souveraineté et de l’intégrité de l’Etat » … La formulation et les chapitres de cette loi apparaissent comme un copier-coller de celle votée en 2012 en Russie, au profit de Vladimir Poutine, assimilant au statut d’agent de l’étranger « quiconque reçoit un soutien de l'extérieur de la Russie ou qui est sous l'influence de l'extérieur de la Russie. » Réagissant à l’initiative de l’exécutif centrafricain, le Conseil de résistance et de transition (CRT, mouvement d’opposition centrafricain) a fustigé « un projet de loi scélérat, rédigé sous la dictée de Wagner ». Destiné à supprimer tous les espaces d’opposition, de libre expression et de contradiction, le projet de loi centrafricain porte en germe la création de nouveaux « apatrides ». En toile de fond de cette initiative, la volonté de Faustin-Archange Touadéra, de se maintenir indéfiniment aux commandes du pays, avec le soutien des agents du Groupe russe Wagner, devenus les co-auteurs d’une entreprise de captation d’Etat. En 2023, le président centrafricain et son gouvernement ont été accusés de « coup d’Etat constitutionnel », après avoir œuvré à une modification opportuniste de la Loi fondamentale. Une étape de plus pour réduire à néant le pluralisme politique. 

Outre le bouleversement des équilibres institutionnels, l’érosion des espaces des libertés publiques et la liquidation des processus de démocratisation, ces différents pouvoirs s’appliquent à produire des zones grises où seraient relégués des citoyens jugés indésirables. Ne se contentant plus de pousser vers l’exil leurs compatriotes insoumis, ils instaurent une catégorie nouvelle de violence : le conflit de nationalité. Plus de six décennies après les indépendances, la production discrétionnaire, par des gouvernants contestables, de certificats de bonne et de mauvaise citoyenneté, confine à la confusion et l’extravagance… Ces dérives, préjudiciables à la cohésion et au renforcement des Etats, devraient alerter les instances régionales et continentales. Mais, peut-être faut-il craindre que ces dernières aient définitivement renoncé à toute action permettant d’endiguer les funestes aventures de ces régimes.

Francis LALOUPO

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