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Par Francis LALOUPO

CEDEAO - AES : TOURNER LA PAGE ?

En créant, le 6 juillet dernier, la « Confédération des Etats du Sahel », les juntes du Mali, Niger et Burkina Faso ont confirmé leur volonté de s’écarter de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Pour l’organisation régionale, le moment est-il venu de renoncer à toute forme de conciliation ? 

Crédit Photo: DT.
Crédit Photo: DT.

Fin février 2024, la levée des sanctions prises par la Cédéao à l’encontre des régimes putschistes de la région participait d’une volonté de renouer le fil du dialogue avec les juntes réunies au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES - Mali, Burkina Faso, Niger). Mais à la suite de cette séquence, les actes posés par ces pouvoirs militaires qui, quelques mois plus tôt, avaient décidé de retirer leurs pays de l’organisation régionale, n’ont en rien conforté cette projection. Au cours du premier semestre de cette année, les dirigeants de l’AES (1) se sont montrésdéterminés à se maintenir durablement aux commandes de leurs Etats, en s’octroyant un mandat de fait, au mépris de toute forme de légitimité élective. Ce 6 juillet, ils ont tenu leur premier sommet à Niamey, au Niger. L’occasion de seconstituer en «confédération», en lieu et place de l’Alliance des Etats du Sahel. Résumant à sa manière le principal objet de ce sommet, le général Abdourahamane Tiani, le chef de la junte nigérienne, a solennellement indiqué que «les trois pays de l’AES ont irrévocablement tourné le dos à la Cédéao».

Zones de non droit et vérités alternatives

Si rien, dans la forme comme dans le fond, ne distingue encore cette « confédération » de la précédente «alliance», l’affaire divise les opinions.Alors que les inconditionnels de l’AES accompagnent l’événement de leurs généreuses acclamations, des voix s’interrogent sur «la légitimité» d’une telle initiative qui, comme d’autres, n’émane d’aucune consultation populaire. Les trois dirigeants de l’AES (désormais Confédération des Etats du Sahel – CES) ont-ils songé à consulter leurs populations, par voie référendaire notamment, pour recueillir leur assentiment et attester de leur pleine adhésion à un tel tournant de l’histoire de leurs pays ? En réponse à ce questionnement, les soutiens des juntes affirment que les trois dirigeants de l’AES agissent « au nom du peuple ». De quel peuple s’agit-il, précisément ? Des foules fanatisées ou mobilisées à grand frais pour applaudir le spectacle des hommes en treillis ? Les putschistes du Sahel, bien décidés àfaire prévaloir leurs suspectes intentions, se défient de toutes les normes, érigeant les pays qu’ils contrôlent en zones de non droit. 

Le sommet de l’AES s’est déroulé à la veille d’un autre, celui de la Cédéao qui s’est ouvert le 7 juillet à Abuja, au Nigéria. Le retrait effectif de l’AES de l’organisation régionale devant être acté en janvier 2025, le président de la Commission de la Cédéao, Omar AlieuTouray, a tenu à mettre en garde contre les risques de «désintégration» de la communauté régionale. Tout en rappelant les défis communs (sécuritaire, politique, économique…), il a insisté sur les risques d’isolement politique et diplomatique despays de l’AES. Ces derniers devront, par ailleurs, renoncer aux dispositions et avantages liés aux mécanismes de solidarité dans l’espace communautaire.

En écho, les dirigeants de l’AES ont répondu par le bruit et la fureur, fustigeant «la mainmise des puissances étrangères» sur les instances de la Cédéao. Une antienne jamais étayée par ceux qui l’énoncent et la répètent à l’envi. Faut-il donc en déduire que ces trois pays de l’AES, lorsqu’ils étaient membres durant cinq décennies de la Cédéao,s’étaient accommodés de l’emprise des supposées «puissances étrangères» ? En tout cas, les nouveaux «hommes forts» de Bamako, Ouagadougou et Niamey assènent vaillamment leursvérités alternatives devant les foules enrégimentées qui les applaudissent à tout rompre. Ce théâtre est ponctué d’éléments de langage «souverainistes» scandés par les présidents putschistes et leurs propagandistes qui accusent sans retenue les membres de la Cédéao de «soumission aux puissances occidentales». En quoi les douze autres pays de la région seraient-ils moins «souverains» que ceux de l’AES où l’on s’applique aujourd’hui à étourdir les populations d’incantations et de slogansen guise de programme de gouvernement ?

Qu’ils s’en aillent

On aura noté, au cours des derniers mois, le souhaitde la désescalade manifesté par la Cédéao, face à ceux qui ne manquent aucune occasion de l’agonir d’injures. Pas un jour ne passe sans que soient proférés à l’encontre de l’institution régionale les pires accusations, les propos dénigrants et les procès d’intention. Il est temps de mettre un terme à ce spectacle honteux, à ces querelles de comptoirdevenues une marque de fabrique des juntes de l’AES, abîmant l’image de cette région aux yeux du monde. Face à cela, quelle conduite devrait adopter la Cédéao ? Parce qu’elle veut encore y croire, elle a chargé les présidents du Sénégal et du Togo d’une mission de « facilitation » auprès des pays de l’AES. Déclaration du Sénégalais Bassirou Diomaye Faye, élu en mars dernier, et désigné «émissaire» auprès du Mali, du Burkina Faso et du Niger : «Nous devons tout faire pour éviter le retrait des trois pays frères de la Cédéao. Ce serait le pire des scénarios et une grande blessure au panafricanisme que les pères fondateurs nous ont légué». Tout en invitant ses pairs à «engager les réformes idoines pour adapter la Cédéao aux réalités de son temps», il estime que «s’ils (AES) décident de partir de la Cédéao, nous respecterons leur décision». 

Les tentatives de conciliation ayant montré leurslimites face à la logique des régimes de l’AES issus de coups d’Etat, il faut prendre définitivement acte de leur volonté réaffirmée de s’écarter de la communauté régionale. A cet égard, leur geste serait totalement achevé lorsqu’ils auront aussi annoncé leur retrait de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA), dont la raison d’être est indissociable des objectifs intégrationnistes de la Cédéao. Enferrés dans leur logique séparatiste, qu’ils s’en aillent donc appliquer leur agenda, sans plus entretenir la moindre proximité avec la Cédéao. Qu’ils se défassent du passeport de la Communauté, afin d’assumer pleinement leur statut de « pays étrangers ». Que la Cédéao en finisse avec cette farce mauvaise que lui impose depuis des mois ceux qui ont décidé de se départir des acquis - certes insuffisants, mais éminemment précieux - de cette communauté régionale. Que la Cédéao détourne enfin son regard des stratagèmes de ces juntes qui ont choisi de s’en aller pour convenance personnelle,« avec effet immédiat », comme ils aiment à le dire. 

Il y a un temps pour la négociation et les tentatives de conciliation. Et puis, arrive le moment où il faut tirer les justes conclusions. Que les séparatistes s’en aillent, ainsi qu’ils l’ont décidé. Il est temps qu’ils oublient la Cédéao, et n’en fassent plus l’un des arguments et prétextes qui masquent d’inavouables intentions. Qu’on les laisse désormais face à leurs peuples… Pour l’heure, il faut simplement tourner la page. Afin que la Cédéao retourne pleinement à l’exécution de son cahier des charges, se consacre à ses réformes et sa propre consolidation. Il faut, au nom de la nécessaire survie de la Cédéao, tourner la page. Pour continuer d’inventer, collectivement et inlassablement, de nouvelles promesses d’avenir pour cette région si chère à ses habitants et citoyens, par-delà les tempêtes épisodiques. 

(1) Assimi Goïta du Niger, Ibrahim Traoré du Burkina Faso et Abdourahamane Tiani du Niger

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

Commentaires (3)

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Derniers commentaires

FA
Florent Isaac

Confédération des Etats du Sahel, l'espoir d'un réveil florissant pour l'Afrique ?
La CEDEAO vers Une décadence politique ? Des préoccupations majeures qui suscitent des réflexions approfondies.
En effet cette confédération des trois Etats du Sahel, à savoir le Mali, le Burkina Faso et le Niger, représente un pas important vers une coopération renforcée entre ces pays pour faire face aux défis communs auxquels ils sont confrontés notamment ceux sécuritaires et révèle de surcroît le signe d'un Esprit Panafricain en marche. Un effort à enhardir. Mais leur volonté de se retirer de la CEDEAO semble ne plus être une décision officieuse ! Un risque plus tard? Notons au préalable, que ces trois Etats de l'AES ne sont pas dotés d’une forte capacité économique à l’exception d’une main d’œuvre abondante et constituent d’ailleurs des Etats enclavés. Toutefois si ces Etats arrivent à se débarrasser du FCFA, il y aura une dévaluation de la monnaie, ce qui impactera la CEDEAO. À cet effet, la CEDEAO ne va t-elle pas anticiper avec des réformes efficaces pour réaffirmer sa crédibilité et sa légitimité aux yeux des autres membres ? Par ailleurs ce retrait de ces trois Etats du Sahel de la CEDEAO aura plus un impact géopolitique et géostratégie sur l’institution car il entrainera inévitablement une perte de 54% du territoire, 16% de la population régionale et 10% du PIB allégué. Par ailleurs, la zone liptako-Gourma de 360000Km2, riche en terme de réserves naturelles de la CEDEAO est une perte énorme pour l’institution en matière de potentialités. Ce retrait traduit aussi la perte des trois grandes armées de l’institution et métamorphose le paysage économique de la sous-région. Une désintégration qui suscite la crainte et provoquera sans doute une décélération de l'intégration économique. La CEDEAO restera t-elle toujours intègre malgré cette désintégration ? Ce retrait suscitera évidemment la crainte dans le rang des autres Etats membres et peut pousser aussi d’autres Etats à se mettre à l’écart de certaines décisions de l’organisation et donc à une incrédibilité et à une perte de légitimité voire de crédibilité tant au plan interne qu’international. La conséquence majeure qui en découlera serait une crise multidimensionnelle ou existentielle dans l’espace CEDEAO. La question de l'unité, de la solidarité et de la coopération seront-elles toujours de mises au sein de la CEDEAO? La vision à l'horizon 2050 de la CEDEAO ne porte t-elle pas déjà un handicap ? La confédération des Etats du Sahel montrera t-elle la voie à la CEDEAO pour une Afrique Unie, émergente et prospère ?
Des défis énormes pour les Etats de l'AES pour s'affirmer et s'imposer en Afrique mais de surcroît sur la Scène internationale.

PA
Paula

La Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) depuis sa création en 1975 oeuvre pour le maintien et la sauvegarde du panafricanisme,de l'unité en Afrique de L'Ouest.Elle a toujours oeuvré pour la sauvegarde des intérêts de ses pays membres, en mettant en place divers programmes depuis près de cinquante ans.Le retrait drastique et confirmé des États de L'AES aujourd'hui CES est un manque à gagner pour cette organisation, et en quelque sorte un échec pour celle -ci dans sa nature d'organisation panafricaine.Toutefois , l'illégitimité des dirigeants de ces pays, , pourrait être attribuée à leur décision commune.Un homme de l'armée,feu Thomas Sankara a été à la tête du Burkina -Faso,lui qui fut un homme en treillis, et qui a été un porte flambeau du panafricanisme.Ces trois pays sont des pays fortement islamisés, avec la majorité musulmane, ils sont ceux qui sont des conservateurs de valeurs de vie commune, à cet effet, leurs dirigeants devraient faire cas de figure.Se retirer d'une organisation sous régionale, c'est abandonner les idées de vivre ensemble, d'agir ensemble pour atteindre les objectifs de manière générale et spécifique pour le bien de tous.Cette désintégration n'est pas la solution, parce que la CEDEAO dispose d'assez de moyens pour résoudre leurs problèmes, une plaine suffirait, une rébellion pour qu'elle prenne conscience du danger que courent les populations de ces différents pays, mais pas un retrait immédiat et définitif.

FL
Fofolo

Ils sont certes trois "ex membres" de la CEDEAO à choisir de se retirer de cette REC mais ils n'ont pas été les premiers. Pourquoi devrait-il alors y avoir autant de drames ? Même dans les textes fondateurs de la CEDEAO, la séparation n'est point taboue.
Quand dans cet article, il est écrit qu'il n'y a pas eu un référendum pour obtenir des populations la légitimité du retrait de la communauté, c'est à croire qu'il y en a eu un pour marquer leur entrée.
Au lieu de menaces et de propos tout aussi inamicaux de la part de l'exécutif de la REC, ne devrait-on pas "mettre balle à terre" et limiter les dégâts ?

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