Par Francis LALOUPO
[ÉDITO] Togo : le goût du putsch
Faut-il s’étonner des déclarations du ministre togolais, Robert Dussey, sur une possible adhésion de son pays à l’Alliance des Etats du Sahel ? Des propos qui lèvent les ambiguïtés entre le Togo et les régimes putschistes du Sahel.
- Politique
Le 16 janvier dernier, le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, a obtenu son meilleur buzz en déclarant sur la chaîne de télévision VoxAfrica que son pays pourrait adhérer à l’Alliance des Etats du Sahel (AES), initiée par les trois dirigeants putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger, sans la moindre consultation vérifiée de leurs populations. Cette déclaration est d’autant plus signifiante qu’elle intervient à quelques jours du retrait effectif, ce 29 janvier, des trois pays de l’AES de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Selon Robert Dussey, le Togoet l’AES sont « liés par la même idéologie ». Et d’affirmer péremptoirement que la grande majorité de la population togolaise souscrit à cette éventualité. Ce qui reste à prouver, à bien des égards.
Si cette déclaration a suscité de nombreux commentaires, l’on peut se demander si elle méritait toute l’importance qui lui a été ainsi accordée. Fallait-il réellement s’étonner que le ministre Dussey, transmué depuis quelque temps en chantre d’un panafricanisme opportuniste, se livre à un coming outdébridé, en confessant son attachement aux putschistes du Sahel ? Cependant, on pourrait s’étonner du silence des instances de la Cédéao face à ces déclarations, quand l’on sait que le Togo a été l’un des pays désignés pour jouer le rôle de facilitateur entre l’organisation régionale et les dirigeants de l’AES. Censé incarner auprès de ces derniers les principes et les exigences de la Cédéao, le Togo s’est constamment illustré par ses ambiguïtés et une suspecte bienveillance à l’égard des régimes putschistes. Ainsi donc, au bout de ce parcours, le pouvoir togolais, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, finit par dévoiler ses affinités avec ceux qu’il était chargé de tenter de ramener dans le giron de la communauté régionale. Un aveu qui vaut légitimation des coups d’Etats condamnés par la Cédéao. Un acte de démarcation envers les principes de cette communauté qui, bon an mal an, tente de promouvoir ces mêmes principes depuis plusieurs décennies.
Le coup d’Etat permanent
Mais, une fois encore, faut-il s’en étonner ? Le Togo, classé parmi les pays les moins vertueux de la région en matière de respect de l’Etat de droit, était-il bien indiqué pour mener une mission de conciliation entre la Cédéao et des régimes putschistes ? Pendant longtemps, il a partagé avec la Gambie la peu flatteuse qualification de « zones réfractaires auxprocessus de démocratisation » en Afrique de l’Ouest. Après l’avènement de l’alternance en Gambie en 2017 sous les auspices de la Cédéao, il s’est retrouvé seul à porter cette réputation. Dirigé depuis cinquante-huit ans par le même régime, présidé successivement par Étienne EyadémaGnassingbé (1967 à 2005), puis son fils Faure Gnassingbé (depuis 2005), le Togo demeure, à ce jour, l'un des pays les plus fermés à toute avancée démocratique. Près de six décennies de violence politique, d’atteintes majeures et récurrentes aux droits humains, de fraudes électorales spectaculaires et systémiques, de manipulations constitutionnelles, de confiscation radicale du pouvoir d’Etat par un clan qui se sera appliqué, des décennies durant, à transformer la gestion de l’Etat en coup d’Etat permanent…
Etat clinique de la Cédéao
En 2024, le pouvoir togolais a procédé à une énième modification de la Constitution, afin, cette fois, d’instaurer un « régime parlementaire » qui supprime, de fait, l’élection présidentielle au suffrage universel. Consécration ultime de la présidence à vie… Parmi les derniers expédients de ce système, l’adhésion orchestrée par des proches de la présidence à une vague néo-panafricaniste, devenue un ingrédient envoûtant, alimentant les nouveaux populismes. Pour le ministre togolais Robert Dussey, les incantations néo-panafricanistes servent désormais d’identité diplomatique. Devenues un nouveau moyen de conservation du pouvoir, elles détournent les foules de l’obligation de résultats qu’elles sont en droit d’exiger de leurs dirigeants. A quoi se résume « l’idéologie », voire la culture politique, que son pays partagerait avec les régimes de l’AES ? « L’Afrique d’abord, c’est notre pays d’abord », répond-t-il. Faut-il croire que le ministre découvre les vertus du militantisme à l’aune des coups d’Etat dans le Sahel ? …
La Cédéao, travaillée par ses contradictions internes, aura donc choisi de confier au Togo, entre autres, la résolution de la crise qui l’oppose à l’AES. Un pays, qu’elle a, faut-il le rappeler, plusieurs fois condamné par le passé pour ses manquements aux normes démocratiques. En pure perte, d’ailleurs. La voilà confrontée à une inversion du réel, avec un exécutif togolais qui fait l’aveu de son irrésistible appartenance au camp des putschistes. Au-delà de cette prévisible confirmation, les propos du ministre Dussey, avalisés par la présidence togolaise, compliquent un peu plus encore la situation clinique de la Cédéao. Symptomatique des tensions silencieuses à l’œuvre au sein de l’organisation, l’aveu togolais est également un révélateur des insidieuses concurrences – y compris économiques -, des antagonismes politiques et autres arrière-pensées diplomatiques qui minent la marche de la communauté régionale. Le mauvais buzz togolais souligne l’urgence de procéder à un exercice de refondation de l’institution, afin d’en redéfinir et réaffirmer les valeurs en partage, ainsi que les orientations collectivement consenties par ses Etats membres pour les prochaines décennies.
Par Francis LALOUPO
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